Renvois : Décisions
de l'arbitre : #105 - Le 16 septembre 2003
D É C I S I O N
1. Le réclamant a fait une demande d'indemnisation
à titre de personne directement infectée en
vertu du Régime à l'intention des hémophiles
infectés par le VHC.
2. Dans une lettre en date du 3 février 2003, l'Administrateur
a refusé la réclamation, parce que le réclamant
n'avait pas fourni de preuve suffisante établissant
qu'il avait reçu du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs.
3. Le réclamant a demandé qu'un arbitre soit
saisi de la décision du refus de sa réclamation
par l'Administrateur.
4. Subséquemment, l'Administrateur a annulé
sa décision de refuser la réclamation, afin
de permettre une enquête plus approfondie en rapport
avec l'affirmation par le réclamant à l'effet
qu'il avait reçu du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs.
5. Dans une lettre en date du 20 juin 2003, l'Administrateur
a encore une fois refusé la réclamation, parce
que le réclamant n'avait pas fourni de preuve suffisante
permettant d'établir qu'il avait reçu du sang
au cours de la période visée par les recours
collectifs.
6. Le réclamant a alors renouvelé sa demande
de saisir un arbitre du refus.
7. Une audience a eu lieu le 3 septembre 2003. Les faits
non contestés sont les suivants :
(i) Le réclamant souffre d'un défaut ou d'une
déficience de facteur de coagulation congénitale.
(ii) Le réclamant a été infecté
par le virus de l'hépatite C.
(iii) Le réclamant n'a pas été en mesure
de présenter des dossiers médicaux, cliniques,
de laboratoire, d'hôpital, de la Société
canadienne de la Croix-Rouge, de la Société
canadienne du sang ou d'Héma-Québec démontrant
qu'il avait reçu ou pris du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs.
(iv) Selon le formulaire du médecin traitant rempli
par le médecin de famille du réclamant, le réclamant
a reçu du sang au cours de la période visée
par les recours collectifs; cependant, le médecin n'avait
pas de document d'appui à cet effet et n'a pas témoigné
lors de l'audience, ayant déménagé en
Angleterre.
(v) Dans une note manuscrite en date du 14 août 2002,
le même médecin a déclaré que le
réclamant " avait reçu des produits de
sang durant une extraction dentaire entre 1986 et 1990 au
meilleur de mes connaissances ".
(vi) Toute la chirurgie dentaire pour le réclamant
avait été effectuée à un hôpital
en particulier à l'ïle-du-Prince-Édouard
et, selon le réclamant, par le même chirurgien
dentaire.
(vii) Le seul dossier d'hôpital indiquant que le réclamant
avait subi une chirurgie dentaire remonte à 1979.
(viii) Les enquêtes au sujet du chirurgien dentaire
en question n'ont révélé aucun dossier
indiquant que le réclamant aurait subi une chirurgie
dentaire au cours de la période visée par les
recours collectifs.
8. Lors de l'audience, le réclamant a déclaré
qu'il estimait avoir reçu des produits de sang deux
fois au cours de la période visée par les recours
collectifs. À une occasion qu'il croyait être
en 1987 ou 1988, il avait eu une chirurgie dentaire. À
une autre occasion, autour de 1990 ou 1992, il avait subi
une rupture artérielle importante au nez. Il s'est
souvenu avoir été traité à un
hôpital local à ces deux occasions. Encore une
fois cependant, les dossiers de l'hôpital en question
n'indiquent pas qu'on a donné au réclamant du
sang au cours de la période visée par les recours
collectifs.
9. Le réclamant a affirmé dans sa demande de
renvoi en arbitrage et lors de l'audience que les dossiers
d'hôpital pertinents ne sont pas disponibles. Le Dr
Lamont Sweet, le principal agent de soins de santé
pour l'Île-du-Prince-Édouard, a écrit
plusieurs lettres à cet égard. Dans une note
de service au médecin de famille du réclamant
en date du 15 avril 2002, il a fait les observations suivantes
:
" OBJET : DOCUMENTATION PORTANT SUR LA RÉCEPTION
DE SANG ET DE PRODUITS DE SANG À L'Î.-P.-É.
J'écris en réponse à une demande reçue
de vous concernant le fait que vous n'avez pas réussi
à trouver la documentation relative à certains
dossiers médicaux sur la réception de sang et
de produits de sang. Tel que je le comprends, vous avez deux
patients hémophiles qui n'ont pas été
en mesure d'obtenir la vérification de leur réception
de produits de coagulation.
Cela m'a beaucoup préoccupé en raison du besoin
de relever les numéros de lots de transfusions de sang
et de plaquettes, afin de retracer et de tester les donneurs.
Nous avons eu beaucoup de difficultés à obtenir
des dossiers de transfusion de sang exacts pour ceux qui ont
reçu des produits avant 1984 à l'Île-du-Prince-Édouard.
En fait, nous n'avons pas été en mesure d'établir
un système de retraçage de sang pour les transfusions
d'avant 1984, parce que trop souvent, il n'existait pas de
données fiables.
Dans un même ordre d'idées, si on nous avise
qu'un patient est atteint du virus de l'hépatite C
et si nous essayons d'obtenir des documents à partir
des dossiers médicaux, il arrive fréquemment
qu'on ne puisse pas découvrir d'information, si l'événement
remonte avant 1984. Il y a souvent des renseignements
sur la compatibilité croisée, mais il n'est
pas possible d'en vérifier les unités données.
Pour ceux qui ont reçu des produits de coagulation,
il est beaucoup plus difficile d'obtenir de l'information.
Les dossiers sur la compatibilité croisée de
la banque de sang ont tendance à s'avérer être
peu utiles. Le produit a souvent été donné
dans la salle d'urgence d'où il est très difficile
d'obtenir des dossiers.
Je demande presque toujours des renseignements concernant
le dépistage des contacts d'un point de vue santé
publique. Toutefois, une situation similaire surgit lorsqu'un
patient désire de la documentation pour d'autres raisons.
Bien que je puisse pas parler de ce qui est ou était
dans les dossiers non disponibles, je peux expliquer la situation
et offrir une opinion à savoir s'il semble vraisemblable
que du sang ou des produits de sang ont été
reçus. J'espère que cela est dans le meilleur
intérêt ou [sic] des patients qui parfois semblent
placés dans une position difficile, simplement parce
qu'ils ont reçu du sang ou des produits de sang avant
que la tenue des dossiers ne soit faite selon les normes d'aujourd'hui.
J'espère que cela aide à résumer le
dilemme auquel je suis confronté concernant cette question.
"
[c'est nous qui soulignons]
10. Dans une lettre en date du 29 mai 2002 adressée
à la Convention de règlement relative aux recours
collectifs, le Dr Sweet a expressément traité
des circonstances entourant les réclamations du réclamant
et de son frère comme suit :
" Le 29 mai 2002
Madame Joan Learning
Convention de règlement relative à l'hépatite
C
C.P. 2370, succursale D
Ottawa (Ontario) K1P 5W5
Madame,
...
Ces deux patients m'ont demandé de vous écrire
concernant la probabilité qu'ils aient reçu
des produits de sang à l'origine de leur hépatite
C.
D'abord, j'ai examiné tous les dossiers médicaux
disponibles au Queen Elizabeth Hospital de Charlottetown concernant
leurs antécédents. À plusieurs occasions,
on a noté qu'ils étaient hémophiles tous
les deux.
Deuxièmement, malheureusement, aucun des dossiers
vérifiés n'indiquait qu'ils avaient reçu
du sang ou des produits de sang. Cela n'est pas inhabituel
pour le sang et assez commun pour les produits de sang qui
sont souvent transfusés dans les salles d'urgence où
la documentation est plus difficile à retrouver que
pour les admissions à un hôpital.
Troisièmement, lorsque j'ai obtenu l'historique des
faits pour ces deux patients, leur médecin traitant
n'a fourni aucune indication à l'effet qu'ils présentaient
d'autres facteurs de risque à l'hépatite C.
D'habitude, il y a certain doute d'autres facteurs de risque,
notamment, lorsqu'il y a usage de drogues injectables. Par
conséquent, j'étais assez confiant de classer
leurs facteurs de risque comme étant la réception
de produits de coagulation. Sans documentation, il est
impossible de fournir des détails tel que les numéros
de lot; mais l'historique correspond parfaitement à
l'explication à l'effet que les produits de sang ont
causé leur hépatite C.
Quatrièmement, il est impossible de prouver à
quelle période précise le produit a été
reçu. En examinant la question d'un autre point de
vue, je ne serais pas du tout surpris d'apprendre qu'ils aient
reçu le produit à n'importe quel moment dans
le passé.
Cinquièmement, bien que je sois l'agent de la Province
et non leur médecin traitant, mon principal rôle
dans cette affaire...au sujet des frères visait à
déterminer la source de leur hépatite C et le
genre d'enquête que la Société canadienne
du sang devait effectuer. Je suis d'avis qu'ils sont victimes
de circonstances puisque je crois que leur état pathologique
est dû aux produits de coagulation, et je regrette leur
dilemme de ne pas pouvoir fournir une documentation adéquate.
J'espère que cela vous donnera un meilleur aperçu
de la situation et j'espère que vous pourrez évaluer
leurs réclamations avec équité, à
la lumière de leur malheureuse situation.
Je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments
les plus sincères.
Lamont Sweet, M.D., FRCP, MHSc.
Agent principal de soins de santé .."
[c'est nous qui soulignons]
11. Enfin, dans une lettre adressée au frère
du réclamant en date du 7 février 2003, le Dr
Sweet a indiqué que l'absence de documentation d'un
produit de sang à l'hôpital ou de dossier de
la banque de sang ne prouvait pas qu'il n'avait pas été
reçu et ne devrait pas être pris comme preuve
qu'il n'avait probablement pas été reçu.
12. L'article 3 du Régime à l'intention des
hémophiles infectés par le VHC est intitulé
Preuve requise aux fins d'indemnisation. Il stipule en partie
ce qui suit :
"3.01 Réclamation par un hémophile directement
infecté
(1) Quiconque prétend être un hémophile
directement infecté doit remettre à l'administrateur
un formulaire de demande établi par l'administrateur
accompagné des documents suivants :
(a) des dossiers médicaux, cliniques, de laboratoire,
d'hôpital, de la Société canadienne de
la Croix-Rouge, de la Société canadienne du
sang ou d'Héma-Québec démontrant que
i) le réclamant a ou avait une anomalie ou déficience
congénitale relative au facteur de coagulation, et
ii) le réclamant a reçu ou pris du sang au cours
de la période visée par les recours collectifs;
(2) Malgré les dispositions du paragraphe 3.01(1)a),
si le réclamant ne peut se conformer aux dispositions
du paragraphe 3.01(1)a)i) ou ii), il doit remettre à
l'administrateur une preuve corroborante et indépendante
des souvenirs personnels du réclamant ou de toute personne
qui est membre de la famille du réclamant, établissant
selon la prépondérance des probabilités
qu'il a ou a eu une anomalie ou une déficience congénitale
à l'égard du facteur de coagulation et reçu
ou pris du sang au cours de la période visée
par les recours collectifs.
13. Dans le cas présent, tel que déjà
indiqué, le réclamant n'a pas été
en mesure de présenter des " dossiers médicaux,
cliniques, de laboratoire, d'hôpital, de la Société
canadienne de la Croix-Rouge, de la Société
canadienne du sang ou d'Héma-Québec " indiquant
qu'il avait reçu ou pris du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs. Par conséquent,
le réclamant doit s'appuyer sur le paragraphe 3.01(2)
et c'est lui qui allègue qu'il a présenté
une preuve suffisamment corroborante démontrant qu'il
avait reçu ou pris du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs.
14. Malheureusement, la preuve n'appuie pas son allégation.
Le réclamant et l'Administrateur ont fait des efforts
importants pour obtenir tous les dossiers médicaux
pertinents. Les hôpitaux en question ont confirmé
qu'ils avaient les dossiers médicaux du réclamant
mais que ces dossiers ne révèlent pas que ce
dernier avait reçu ou pris du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs. Bien entendu, il
y a toujours la possibilité que certains dossiers médicaux
du réclamant soient disparus ou, comme l'a signalé
le Dr Sweet, n'aient jamais été créés
correctement au départ, du moins pas avant 1984. En
dernière analyse cependant, tout ce que pouvait dire
le Dr Sweet est que le réclamant avait probablement
été infecté par l'hépatite C après
avoir reçu des produits de coagulation. Toutefois,
il a clairement dit qu'il était impossible de prouver
à quel moment le réclamant avait reçu
de tels produits, ajoutant seulement qu'il " ne serait
pas du tout surpris d'apprendre " que le réclamant
ait pu en avoir reçu " à n'importe quel
moment dans le passé ". Par conséquent,
il est clair que le Dr Sweet n'était simplement pas
en mesure d'offrir une opinion sur la question importante
à savoir si le réclamant avait reçu du
sang au cours de la période visée par les recours
collectifs.
15. Selon le dossier qui est devant moi, je dois constater
qu'il n'y a pas de preuve indépendante corroborant
le souvenir personnel du réclamant établissant
selon la prépondérance des probabilités
qu'il a reçu ou pris du sang au cours de la période
visée par les recours collectifs. En vertu du paragraphe
3.01(2), le réclamant a la responsabilité de
présenter la preuve corroborante requise. Le fardeau
de la preuve ne repose pas sur l'Administrateur, comme semble
le suggérer le réclamant à l'effet qu'il
n'a pas reçu de sang au cours de la période
visée par les recours collectifs. On ne peut s'empêcher
d'éprouver de la sympathie envers le réclamant;
cependant, il faut respecter les dispositions du Régime.
FAIT à Halifax, Nouvelle-Écosse, ce 16e jour
de septembre 2003.
S. BRUCE OUTHOUSE, c.r.
Arbitre
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