Renvois : Décisions
de l'arbitre : #40 - le 16 février 2002
D É C I S I O N
- Contexte :
- Le réclamant présente une demande d'indemnisation
à titre de personne directement infectée
en vertu du Régime à l'intention des transfusés
infectés par le VHC (" le Régime
"), tel qu'établi dans les modalités
de la Convention de règlement (" Convention
de règlement ") relative à l'hépatite
C (1986-1990).
- Dans une lettre datée du 10 mai 2001, l'Administrateur
refuse la réclamation en s'appuyant sur le fait
que ce dernier n'a pas fourni de preuve suffisante qu'il
a été infecté pour la première
fois par le VHC, suite à une transfusion sanguine
reçue au Canada au cours de la période
du 1er janvier 1986 au 1er juillet 1990 (" la période
des recours collectifs ").
- Le réclamant demande qu'un arbitre soit saisi
de la décision de l'Administrateur lors d'une
audition orale.
- Arguments :
On convient que le Conseiller de l'Administrateur interviendrait
le premier.
- Les faits suivants ne sont pas contestés :
- Le réclamant est infecté par l'hépatite
C.
- Le réclamant a reçu deux unités
de sang le 22 mars 1990, au Branson Hospital à
North York en Ontario.
- Ni les donneurs ni le sang n'ont fait l'objet
d'un test au moment de la transfusion.
- Le réclamant témoigne qu'il n'a jamais
participé à des activités qui pourraient
avoir causé son infection à l'hépatite
C. Il maintient que la transfusion de sang est la seule
source possible de son infection.
- Le premier jour de l'audition, le réclamant
présente une brochure publiée par la Fondation
canadienne du foie intitulée " HEPATITIS
C : MEDICAL INFORMATION UPDATE (mise à jour des
renseignements médicaux sur l'hépatite
C ) ". À la page 5 de la brochure, on dit
qu'entre 15 et 25 % des patients se libèrent
complètement de leur infection après le
stade aigu.
- Le réclamant maintient qu'il était
possible que les donneurs des deux unités qu'il
a reçues faisaient partie du groupe de 15 à
25 %, et que leur infection ait disparue au moment où
ils ont subi le test.
- On suspend l'audition pour permettre aux deux parties
d'explorer davantage cette possibilité.
- Le deuxième jour de l'audition, les parties
soumettent des documents qui traitent de la période
au cours de laquelle les infections à l'hépatite
C ainsi que les anticorps les accompagnant pouvaient
disparaître. Les documents ne coïncident
pas avec le temps requis pour permettre aux anticorps
de disparaître.
- L'Administrateur s'appuie sur une lettre du 8 août
2001 du Dr Frank Anderson, du Département de
gastro-entérologie adressée à M.
William Ferguson, Conseiller du fonds en Colombie-Britannique.
- Dans sa lettre, le Dr Anderson indique qu'il répond
à une demande de clarification au sujet du test
de détection des anticorps de l'hépatite
C et de la possibilité de disparition spontanée
du virus et des anticorps.
- Le Dr Anderson note qu'il y a deux sérologies
différentes pour l'hépatite C. Les premiers
tests de détection du virus (ARN-VHC) utilisent
une méthode appelée ACP (amplification
en chaîne par polymérase). Le deuxième
test de détection des anticorps se pratique selon
deux méthodes : ELISA (dosage immunoenzymatique)
ou RIBA (technique des immunoblots recombinants).
- Le Dr Anderson indique qu'une fois infectées,
environ 20 % des personnes peuvent se libérer
spontanément du virus, mais elles le font généralement
en dedans de six mois après l'infection et non
après. Il déclare de plus que dans ces
cas, l'anticorps demeure généralement
durant le reste de la vie. Dans les quelques cas où
les patients se sont libérés des anticorps,
la libération est survenue vingt ans après
la première infection.
- En ce qui a trait au " risque de transmission
", le Dr Anderson écrit ce qui suit : Il
est très peu probable qu'une personne dont les
tests initiaux d'ARN-VHC (ACP) et de détection
des anticorps du VHC (ELISA ou RIBA) se sont révélés
positifs se libère par la suite spontanément
de l'ARN -VHC et qu'ensuite, elle se libère des
anticorps (ELISA, RIBA). Il semblerait impossible que
cette situation se produise en moins de vingt ans.
Il est très peu probable qu'une personne contracte
l'hépatite C à partir de produits de sang
d'un donneur infecté dont le test de détection
des anticorps du VHC se révèle négatif
par la suite. Mais il y a certains pré-requis.
Si le test ARN-VHC (ACP) du donneur se révèle
négatif maintenant, il aurait fallu que ce donneur
ait donné du sang au cours de la période
de 6 mois suivant sa propre date d'infection et avant
que celle-ci ne disparaisse. Si le donneur a subi un
test de détection des anticorps du VHC (ELISA
ou RIBA), il faut savoir de quelle génération
de test il s'agit. Il y a une possibilité minime
que le donneur aurait pu se libérer des anticorps
décelables [sic], mais selon les rapports de
recherche, cela se produit seulement après 20
ans d'infection. Il est très peu probable qu'un
donneur dont le test initial ACP et ELISA ou RIBA se
révèle négatif, soit atteint d'hépatite
C au moment de son don de sang. En d'autres mots, il
faudrait que le donneur ait donné du sang durant
la période de 6 mois et qu'il fasse alors partie
du groupe des 20 % de personnes qui se libèrent
spontanément du virus, et qu'il soit une des
rares personnes à se libérer des anticorps
après 20 ans. Il est à peu près
impossible que toutes ses éventualités
se réalisent. La période de temps visée
par les recours collectifs [sic] 1986-1990 rendrait
improbable toute disparition spontanée de l'anticorps
étant donné qu'il ne s'est pas encore
écoulé 20 ans depuis la première
date possible d'infection, soit en 1986. Si le donneur
avait subi le test de détection des anticorps
du VHC seulement, il y a une possibilité minime
qu'il se soit libéré des anticorps, [sic]
mais seulement après 20 ans, et il aurait fallu
que son test ARN-VHC soit positif au moment de son don.
S'il était possible de lui faire subir personnellement
le test ARN-VHC ou de tester son don de sang et que
le résultat se révélait positif,
alors, il aurait pu avoir été la source
d'infection. Cependant, si le test ARN-VHC se révélait
négatif, tel que décrit plus haut, il
est alors extrêmement improbable qu'il ait été
la source d'infection.
- Le réclamant s'appuie sur un extrait du Journal
of Hepatology 1990, (novembre) :
Long-term persistence of hepatitis C virus antibodies
in a single source outbreak.
(Persistance à long terme des anticorps du virus
de l'hépatite C dans une source d'éclosion
unique.) Dittmann S, Roggendorf M. Durkop J, Wiese M,
Lorbeer B, Deinhardt F., Central Institute of Hygiene,
Microbiology and Epiderniologie, Berlin, République
fédérale d'Allemagne.
On a procédé à une enquête
sur l'occurrence des anticorps du VHC chez 81 patients
ayant contracté l'hépatite non-A non-B
après une administration parentérale d'immunoglobuline
contaminée afin de prévenir la sensibilisation
Rh. Les sérums de 74 des 81 patients (89,9 %)
se sont révélés anti-VHC positifs
soit 6 à 12 mois ou 9 à 10 ans après
l'administration de l'immunoglobuline. Il n'a pas été
possible d'obtenir des sérums des patients au
cours de l'une ou l'autre de ces deux périodes.
Cependant, 52 des 56 sérums (92,9 %) se sont
révélés anti-VHC positifs 6 à
12 mois après l'utilisation d'immunoglobuline,
et l'anti-VHC était présent dans 45 des
65 sérums (69,2 %) 9 à 10 ans après
le traitement d'immunoglobuline. De ces derniers, seulement
deux de 13 (15,4 %) sérums de patients qui se
sont rétablis de l'hépatite étaient
anti-VHC positifs, alors que 43 des 52 patients (82,7
%) atteints de maladie chronique étaient anti-VHC
positifs. On a découvert que le test ELISA qui
utilise un marqueur d'antigène recombinant était
un bon détecteur d'infection au VHC, parce que
90 % des malades infectés à partir d'une
source commune sont devenus anti-VHC positifs. Cependant,
10 ans après l'infection, la plupart des patients
qui n'ont pas contracté de maladie chronique
n'avaient plus d'anticorps décelables. [la mise
en évidence est de moi]
- L'audition est reportée une autre fois afin
de permettre aux parties de clarifier davantage la question
de la disparition des anticorps.
- Par la suite, nous avons reçu des observations
par écrit du Conseiller au nom de l'Administrateur.
Elles indiquaient que, selon d'autres recherches effectuées
au nom de l'Administrateur, la Société
canadienne du sang avaient fourni les données
suivantes :
- Un des donneurs de sang reçu par le réclamant
avait fait plus de 40 dons de sang.
- L'autre donneur de sang reçu par le réclamant
avait fait plus de 90 dons de sang.
- Le test de détection des anticorps du
VHC (anti-VHC) avait été effectué
avant juillet 1990.
- Les résultats de test de détection
des anticorps du VHC d'un des donneurs étaient
négatifs en novembre 1990 et ceux de l'autre
donneur étaient négatifs en juillet
1990 et en décembre 1990.
- Depuis que les tests sont de rigueur, un des
donneurs a subi le test de détection des
anticorps du VHC onze fois et l'autre donneur, quarante
fois.
- Ni l'un ni l'autre des donneurs n'ont subi de
test réactif anti-VHC.
- Argument :
Les observations finales ont été faites par
téléconférence.
- Le Conseiller au nom de l'Administrateur a soutenu
qu'il était hautement improbable que les donneurs
étaient infectés au moment de leur don
de sang au réclamant.
- Dans le premier cas, cela signifierait qu'il aurait
fallu qu'ils donnent du sang au cours des six mois au
cours desquels ils étaient infectés et
qu'ils se seraient, par la suite, libérés
du virus. Ils auraient eu ensuite à se libérer
des anticorps au plus tard en juillet et en novembre
1990, alors que leurs tests s'étaient révélés
négatifs. Le Conseiller a indiqué qu'il
ne s'agissait que de quelques mois après que
le réclamant ait reçu sa transfusion.
- De plus, le Conseiller au nom de l'Administrateur
a indiqué que, selon la recherche scientifique
actuelle, il faut un minimum de dix à vingt ans
pour se libérer des anticorps. Dans le cas du
réclamant, cela signifie que les donneurs auraient
dû donner du sang au moins dix ans avant qu'il
ne soit transfusé au réclamant. Le Conseiller
au nom de l'Administrateur a soutenu que cela était
hautement improbable, et qu'il n'y a aucune preuve que
cela s'appliquait dans le cas présent.
- Le Conseiller au nom de l'Administrateur a plutôt
soutenu que le réclamant faisait peut-être
partie des 15 % de personnes infectées pour qui
la source d'infection est inconnue.
- Le réclamant a indiqué que les connaissances
scientifiques concernant l'hépatite C évoluent.
Il a soutenu que les deux périodes de temps de
dix et de vingt ans pour la libération des anticorps
étaient empiriques et que l'écart entre
elles démontrait le manque de données
fermes à cet effet.
- Le réclamant a soutenu que, en raison de l'incertitude
quant au temps requis pour se libérer des anticorps,
il était possible qu'ils puissent, dans certains
cas, disparaître plus rapidement.
- Le réclamant a indiqué que c'est ce
qui s'est produit dans le cas présent, puisqu'il
n'y avait aucune autre circonstance où il aurait
pu être infecté.
- Le Conseiller au nom de l'Administrateur a répondu
que bien que les données scientifiques actuelles
sont inexactes, nous devons les prendre telles qu'elles
sont, puisque c'est tout ce que nous avons de disponibles
comme preuves à l'heure actuelle.
- Analyse :
- Comme exigence de la Convention de règlement,
l'Administrateur doit effectuer une enquête ciblée
sur les unités de sang transfusées afin
de déterminer si le sang est la source du virus
de l'hépatite C. La procédure d'enquête
(" le protocole relatif à la procédure
d'enquête ") a été approuvée
par la Cour de l'Ontario (Division générale)
1.
- Le paragraphe 7(a) du Protocole relatif à
la procédure d'enquête exige que l'Administrateur,
conformément au paragraphe 3.04 (1) du Régime,
refuse toute réclamation lorsque les renseignements
découlant de la procédure d'enquête
et lorsque les résultats de l'examen des dossiers
démontrent que tous les donneurs ou unités
de sang reçues par le réclamant qui prétend
être une personne directement infectée
pendant la période visée ne sont pas anti-VHC
positifs, sous réserve des droits du réclamant
de présenter une preuve afin de réfuter
les résultats de la procédure d'enquête,
conformément au paragraphe 3.04 (2) du régime.
- Le paragraphe 3.04 (1) stipule que si les résultats
d'une procédure d'enquête démontrent
qu'aucun des donneurs ou qu'aucune des unités
de sang reçues par la personne directement infectée
au cours de la période visée par les recours
collectifs est ou était infecté par le
VHC ou est ou était anti-VHC positif, conformément
au paragraphe 3.04(2), l'Administrateur doit refuser
la réclamation de cette personne.
- Le paragraphe 3.04(2) stipule que nonobstant les
résultats de la procédure d'enquête,
un réclamant peut prouver qu'il était
infecté pour la première fois par le VHC
suite à une transfusion sanguine reçue
au Canada au cours de la période visée
par les recours collectifs.
- À mon avis, le paragraphe 3.04(2) exige des
preuves spécifiques en rapport avec un réclamant
particulier, et qui prouvent que, selon la prépondérance
des probabilités, ce réclamant a été
infecté pour la première fois par le VHC
suite à une transfusion sanguine reçue
au Canada au cours de la période visée
par les recours collectifs.
- Dans le cas présent, les preuves indiquent
que dans de rares situations, une minorité de
personnes qui se libèrent spontanément
du virus de l'hépatite C se libèrent aussi
des anticorps. Selon les renseignements scientifiques
qui me sont fournis, le temps requis pour qu'une personne
infectée se libère d'anticorps décelables
se situe quelque part entre dix et vingt ans.
- Afin de réussir sa preuve, le réclamant
doit démontrer qu'au moins un des donneurs faisait
partie des 20 % des personnes qui se libèrent
spontanément du virus, mais qu'avant de s'être
libéré du virus, il a donné le
sang reçu par le réclamant au cours de
la période de six mois durant laquelle le donneur
était à la fois infecté et libre
du virus.
- Enfin, le réclamant aurait à démontrer
que le sang qu'il a reçu du donneur a été
donné à un moment donné au cours
d'une période de dix à vingt ans avant
que ce dernier ne soit déclaré anti-VHC
négatif. Comme ce test a été effectué
seulement quelques mois après la transfusion,
cela signifie qu'il aurait fallu que le sang reçu
par le réclamant ait été donné
au cours d'une période variant entre dix et vingt
ans avant la date de la transfusion.
- Cependant, nous n'avons aucune preuve de ce qui précède.
- Par conséquent, je ne trouve aucune preuve
suffisante indiquant que le réclamant a été
infecté pour la première fois par le VHC
suite à une transfusion sanguine reçue
au Canada au cours de la période visée
par les recours collectifs.
- En guise de conclusion, je reconnais que les renseignements
scientifiques et la compréhension dans ce domaine
sont encore imprécis et continuent d'évoluer.
Cependant, même si je découvrais qu'il
est possible que la période de temps requis pour
se libérer des anti-corps soit de moins de dix
ans, comme me l'a demandé le réclamant,
une telle découverte ne l'aiderait pas étant
donné que je n'ai pas de preuve spécifique
que cela s'est produit dans son cas. On ne doit pas
utiliser une possibilité théorique ou
scientifique comme probabilité pour établir
le fardeau de la preuve d'un réclamant.
- Le fait d'en conclure autrement rendrait en fait
la procédure d'enquête inutile.
- Ni l'Administrateur ni moi, comme arbitre, n'avons
le pouvoir discrétionnaire d'accorder une indemnisation
à des personnes infectées par l'hépatite
C qui ne peuvent démontrer qu'elles respectent
les exigences de la Convention de règlement.
- 39. Je conclus donc que l'Administrateur a correctement
établi que le réclamant n'avait pas droit
à une indemnisation en vertu de la Convention
de règlement puisqu'il n'a pas démontré
qu'il était infecté pour la première
fois par le VHC suite à une transfusion sanguine
reçue au Canada au cours de la période
visée par les recours collectifs.
- Décision :
- Je décide donc de maintenir la décision
de l'Administrateur de refuser la demande d'indemnisation
du réclamant en vertu de la Convention de règlement
des recours collectifs relative à l'hépatite
C (1986-1990).
EN DATE DU 16 FÉVRIER 2002 À TORONTO.
Tanja Wacyk, arbitre
______________________________________________
1 Parsons et coll. contre
La Société canadienne de la Croix-Rouge, Monsieur
le juge Winkler (21 février 2001)
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