Renvois : Décisions
homologuées par le juge arbitre : #109 - Le 13 octobre
2003
D É C I S I O N
CONTEXTE :
1. Le réclamant a présenté une demande
d'indemnisation à titre de personne directement infectée
en vertu du Régime à l'intention des transfusés
infectés par le VHC (" le Régime "),
tel qu'établi selon les dispositions de la Convention
de règlement relative à l'hépatite C
(1986-1990) (" la Convention de règlement ").
2. Dans une lettre datée du 12 décembre 2001,
l'Administrateur a refusé la réclamation parce
que le réclamant n'avait pas fourni de preuve suffisante
pour appuyer sa réclamation à l'effet qu'il
avait reçu du sang durant la période du 1er
janvier 1986 au 1er juillet 1990 (" la période
visée par les recours collectifs ").
3. Le réclamant soutenait qu'il avait contracté
l'hépatite C suite à une transfusion de sang
qu'il avait reçue lors d'une chirurgie pour hernie
en janvier 1989. Le réclamant a demandé qu'un
juge arbitre soit saisi de la décision de l'Administrateur
lors d'une audience en personne.
4. Le 4 avril 2002, le premier jour de l'audience dans cette
cause, le réclamant a demandé un ajournement
qui lui fut accordé afin de permettre à son
représentant d'alors d'obtenir d'autres renseignements.
5. La cause a repris le 30 septembre 2002 alors que le réclamant
se représentait lui-même. À cette occasion,
en plus de témoigner lui-même, le réclamant
a convoqué deux témoins : M.B, un ami ainsi
que la femme du réclamant. Le réclamant a également
déposé deux lettres de ses filles décrivant
les difficultés que le diagnostic de l'hépatite
C de leur père avaient causées ainsi que leur
frustration due au fait qu'on n'avait pas accepté l'affirmation
de leur père à l'effet qu'il avait contracté
la maladie suite à une transfusion de sang.
6. Suite à l'audience le 30 septembre 2002, la cause
a encore une fois été ajournée pour permettre
au réclamant d'obtenir une preuve additionnelle au
sujet de sa réclamation. Aucune information à
cet effet n'a été présentée et
à l'automne de 2003, le réclamant nous a avisé
que la cause devait être décidée en fonction
des preuves déjà soumises. Ces preuves sont
présentées ci-dessous.
LA PREUVE :
Témoignage du réclamant
7. Le réclamant a décrit les années
difficiles de son adolescence. Il a admis avoir bu et s'être
adonné à l'usage de drogues de façon
excessive. Toutefois, il a nié avoir fait usage de
drogues intraveineuses. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi
deux médecins avaient indiqué le contraire dans
leurs dossiers(1) , le réclamant a indiqué que
c'était parce qu'à ce moment-là (probablement
suite à ses discussions avec eux), il n'était
pas conscient de ce que le mot " intraveineux "
signifiait.
(1) La première référence provient d'un
rapport de 1992 du Dr Alexander, médecin de salle d'urgence
qui a indiqué qu' "[il] existe des antécédents
lointains d'utilisation de drogues par voie intraveineuse.
La deuxième référence provient d'un rapport
daté du 25 septembre 1992 du Dr Haber, un gastro-entérologue
qui a examiné le réclamant en rapport avec son
hépatite. Dans son rapport, le Dr Haber indique que
le réclamant a des antécédents d'utilisation
de drogues par voie intraveineuse qui remontent à 20
ans.
8. Le réclamant a témoigné au sujet
de son dossier médical, qui comprenait une amputation
accidentelle de deux doigts en 1978. Il a par la suite subi
une appendicectomie, et une intervention chirurgicale intestinale
importante.
9. En janvier 1989, le réclamant s'est infligé
une hernie au travail et a dû par la suite subir une
intervention chirurgicale à cet égard. Le 15
janvier 1989, il a été admis à l'hôpital
et a subi l'intervention le 16 janvier 1989. Le réclamant
a témoigné qu'en aucun temps durant son séjour
à l'hôpital lui aurait-on dit qu'il aurait besoin
d'une transfusion sanguine.
10. Le réclamant a déclaré qu'après
l'intervention, lorsqu'il s'est réveillé dans
sa chambre, il a remarqué deux sacs sur une potence
pour intraveineuse. Un des sacs était long, et l'autre
était plus petit, environ de 6 à 8 pouces carrés
avec une croix rouge sur le sac. Selon le réclamant,
le plus petit sac était opaque et contenait un liquide
d'un rouge foncé. Le liquide de chacun de ces deux
sacs était relié par un tube inséré
dans son bras. Le réclamant se rappelle avoir demandé
" Pourquoi me donne-t-on du sang? " ou quelque chose
du genre. Toutefois, il a témoigné qu'on ne
lui a jamais donné d'explication à cet effet
ou même qu'on lui avait donné du sang.
11. Le réclamant a indiqué se rappeler que
le sac pour perfusion intraveineuse est demeuré sur
la potence pendant environ 20 minutes ou à peu près.
Le réclamant a soutenu que sa femme et sa mère
étaient là à ce moment-là. Il
s'est ensuite souvenu que M. B était entré et
qu'ils avaient rigolé au sujet du sida parce qu'"
on commençait à en parler et que c'était
quelque chose de très important à ce moment-là
".
12. Le réclamant a déclaré que lorsque
l'infirmière a enlevé le sac rouge, il a demandé
pourquoi il recevait du sang. Cependant, l'infirmière
a simplement placé le sac dans la boîte à
déchets et n'a pas répondu. Le réclamant
a témoigné qu'il pensait que c'était
étrange parce qu'il croyait que le sac de sang devait
être jeté dans une boîte à déchets
spéciale. Il s'est également rappelé
avoir mentionné à sa femme qu'elle devrait amener
le sac à la maison et le mettre au congélateur
et elle a répondu : " Ah, ça suffit ! ".
13. Le réclamant a témoigné qu'après
la chirurgie, lorsqu'il est allé voir son médecin
de famille, il lui a demandé pourquoi il avait reçu
une transfusion de sang. Or, son médecin a répondu
qu'il n'y avait aucun dossier de transfusion de sang.
14. Le réclamant a indiqué que suite à
son intervention chirurgicale en 1989, il avait subi une autre
intervention pour une hernie, ainsi qu'une intervention pour
calculs biliaires. Toutefois, il a soutenu qu'à part
son intervention en janvier 1989 où il avait reçu
du sang, il n'avait reçu aucune autre transfusion de
sang par la suite.
15. Dans le rapport du Dr Haber, mentionné plus haut
avec une note en bas de page, le Dr Haber a également
noté que le réclamant avait des " tatouages
évidents " sur le corps. Lorsqu'on a posé
des questions au sujet des tatouages, le réclamant
a indiqué qu'il les avait faits lui-même en utilisant
une aiguille à coudre et de l'encre. Il a témoigné
qu'il a commencé à se faire lui-même des
tatouages à l'âge de neuf ans, et que la dernière
fois où il s'était fait des tatouages, il avait
15 ans. Il a indiqué que son frère avait peut-être
utilisé la même aiguille, mais que personne d'autre
ne l'avait utilisée - bien qu'il ait indiqué
qu'il s'était fait tatouer par d'autres qui avaient
utilisé son équipement. Le réclamant
a indiqué que son frère n'avait pas contracté
l'hépatite C.
Témoignage de M. B.
16. M. B. connaît le réclamant depuis plus de
vingt-cinq ans, et la sur du réclamant est mariée
au frère de M. B. M. B., un camionneur, a témoigné
que le 11 janvier 1989, il faisait une livraison entre Innisfil
et Peterborough, et a téléphoné au réclamant
impulsivement. La fille du réclamant lui a dit que
le réclamant était à l'hôpital.
17. M. B. a témoigné qu'il était alors
allé à l'hôpital rendre visite au réclamant.
M. B. ne pouvait pas se souvenir de plusieurs détails
au sujet de l'hospitalisation du réclamant, de même
que la raison pour laquelle il avait été hospitalisé,
pour combien de temps ou à quel étage il était.
18. Toutefois, M. B. a témoigné qu'il avait
rendu visite au réclamant pendant environ 20 minutes,
et que pendant ce temps, il avait noté que le réclamant
avait " quelque chose au bras " et qu'il y avait
une potence pour intraveineuse avec un sac rouge. Il a témoigné
que lui et le réclamant avaient rigolé au sujet
du sida et à l'effet que le réclamant pouvait
le contracter à partir de " mauvais sang ",
bien qu'il ne puisse pas se souvenir exactement de ce qui
s'était dit.
19. Lors du contre-interrogatoire, M. B. a pu fournir quelques
détails additionnels sur ce qu'il avait observé.
D'abord, il a témoigné qu'il ne pouvait pas
décrire la taille du sac qu'il a vu sur la potence
pour intraveineuse mais il l'a par la suite décrite
comme étant de la taille d'un calendrier d'ordonnances
(scheduling journal) qui était dans la pièce
- qui semblait être d'environ 8 sur 10 pouces. M. B.
a indiqué qu'il ne pouvait pas voir ce qu'il y avait
dans le sac et ne pouvait pas se souvenir si le sac était
plein ou vide ou si l'intraveineuse était insérée
dans le corps du réclamant. Également, bien
que M. B. ait témoigné qu'il était certain
que le sac était rouge, il ne pouvait pas décrire
si c'était le sac lui-même ou le liquide dans
le sac qui était rouge.
Témoignage de la femme du réclamant
20. Le réclamant et sa femme sont mariés depuis
26 ans. Elle a témoigné qu'elle était
allée à l'hôpital le jour où le
réclamant a eu sa chirurgie. Toutefois, le réclamant
dormait dans son lit et était " trop sous l'effet
des médicaments " pour parler. À cette
occasion, la femme du réclamant a témoigné
qu'elle avait vu ce qu'elle croyait être des "
sacs de sucre " attachés à l'intraveineuse.
Bien que personne n'ait discuté des sacs avec elle,
la femme du réclamant a indiqué qu'elle savait
à partir de sa propre expérience qu'on donne
des sacs de sucre après une chirurgie.
21. La femme du réclamant a témoigné
qu'elle était retournée à l'hôpital
avec sa mère le deuxième jour après la
chirurgie. Elle a dit qu'à cette occasion, elle a rencontré
le réclamant dans le fumoir et qu'il avait une potence
pour intraveineuse avec un sac rouge. Elle a décrit
le sac comme étant de huit pouces de haut, et a indiqué
qu'elle croyait qu'il était clair et qu'il y avait
du sang à l'intérieur. Elle a demandé
au réclamant pourquoi il avait le sac et il a répondu
" Ils l'ont mis et m'ont dit que j'en avais besoin ".
Selon sa femme, le réclamant a de plus expliqué
qu'il lui fallait du sang parce que sa numération globulaire
fluctuait.
22. La femme du réclamant se souvient avoir vu M.
B. alors qu'il entrait et qu'elle sortait. La femme du réclamant
a témoigné qu'à l'hôpital, elle
n'a jamais parlé à un médecin ou aux
infirmières autrement que pour se présenter,
et que personne ne lui a parlé du fait que son mari
recevait une transfusion de sang.
ANALYSE :
23. Afin d'être admissible à une indemnisation
conformément aux dispositions du Régime à
l'intention des transfusés infectés par le VHC,
le réclamant doit répondre aux critères
qui y sont établis.
24. Le paragraphe 3.01(1)(a) du Régime à l'intention
des transfusés infectés par le VHC stipule qu'une
personne qui prétend être une personne directement
infectée doit fournir à l'Administrateur, entre
autres, " des dossiers médicaux, cliniques, de
laboratoire, d'hôpital, de la Société
canadienne de la Croix-Rouge, de la Société
canadienne du sang ou d'Héma-Québec démontrant
que le réclamant a reçu une transfusion de sang
au Canada au cours de la période visée par les
recours collectifs. Tel qu'indiqué plus haut, la Convention
de règlement stipule que la " période visée
par les recours collectifs " est " la période
allant du 1er janvier 1986 au 1er juillet 1990, inclusivement
".
25. On n'a présenté aucun dossier démontrant
que le réclamant avait reçu une transfusion
de sang au Canada durant la période visée par
les recours collectifs. En effet, selon la prépondérance
de la preuve, le réclamant n'aurait jamais reçu
de transfusion de sang.
26. De façon spécifique, le Rapport d'admission
(p.104 du dossier du réclamant) n'indique aucune intention
de fournir une transfusion de sang ou même une demande
de mettre du sang de côté pour l'intervention
chirurgicale. Les notes d'évolution débutent
le 15 janvier 1989, le jour avant l'intervention chirurgicale
du réclamant. Le 16 janvier 1989, à 9 heures,
les notes d'évolution indiquent que le réclamant
a été transporté à la salle d'opération.
Une évaluation postopératoire semble avoir été
faite à 11 h 20 et on a donné une injection
par voie intraveineuse à ce moment et qui semble avoir
été interrompue à 11 h 30 heures. (p.106)
27. Plus tard durant la journée du 16 janvier 1989,
les notes d'évolution ne font aucune mention d'une
injection par voie intraveineuse ou d'une transfusion de sang
durant l'évaluation en soirée (p.107). On note
que le réclamant était debout et marchait dans
les couloirs. On dit qu'il est " stable ". Le 17
janvier 1989, à environ 13 h, l'infirmière a
écrit " debout et marche autour, a pris sa douche,
a suivi son régime, bien.... état stable ".
28. La prochaine note était en date du 19 janvier
1989, alors qu'on y a indiqué plusieurs plaintes soulevées
par le réclamant. Toutefois, il n'y a aucune mention
d'une injection par voie intraveineuse ou d'une transfusion
de sang (p. 108). Le 20 janvier 1989, l'infirmière
a écrit " état stable, congé ambulatoire
avec Rx ( ambulatory discharge with Rx) " (p. 109).
29. Bien que les dossiers médicaux du réclamant
ne fassent aucune mention d'une transfusion de sang, ils ne
sont pas nécessairement déterminants (determinate).
Le paragraphe 3.01(2) du Régime stipule que malgré
les dispositions du paragraphe 3.01(1)(a), si un réclamant
ne peut se conformer aux dispositions du paragraphe 3.01(1)(a),
il doit remettre à l'Administrateur une preuve corroborante
indépendante des souvenirs personnels du réclamant
ou de toute personne qui est membre de la famille du réclamant,
établissant selon la prépondérance des
probabilités qu'il a reçu une transfusion de
sang au Canada au cours de la période visée
par les recours collectifs. Le terme " membre de la famille
" est défini dans le Régime et m'interdit
de m'appuyer uniquement sur la preuve du réclamant
ou de sa femme.
30. Dans le cas présent, bien que la preuve du réclamant
et celle de sa femme soient corroborées par la preuve
de M. B., je trouve que ce n'est pas suffisant pour justifier
l'absence de documents médicaux à l'appui. Je
trouve plutôt la preuve du réclamant, de sa femme
et de M. B. trop incompatible pour établir, selon la
prépondérance des probabilités, que le
réclamant a reçu une transfusion de sang suite
à une chirurgie subie en janvier 1989.
31. Par exemple, contrairement au témoignage de sa
femme, le réclamant déclare qu'il a reçu
une transfusion de sang lorsqu'il s'est éveillé
après sa chirurgie qui, selon les dossiers médicaux,
aurait eu lieu le 16 janvier 1989. Sa femme a témoigné
qu'elle avait vu la transfusion de sang le deuxième
jour après la chirurgie qui serait le 18 janvier 1989.
M. B., d'un autre côté, a témoigné
qu'il avait vu le réclamant avec une intraveineuse
le 11 janvier 1989, quatre jours avant son admission à
l'hôpital. J'ai également trouvé que le
témoignage de M. B. était tellement dépourvu
de détails que cela l'a rendu peu utile.
32. En outre, le réclamant n'a fourni aucune explication
au sujet de la raison pourquoi il aurait reçu du sang,
ce qui est également contraire au témoignage
de sa femme à l'effet qu'il lui aurait dit qu'il avait
reçu du sang parce que sa numération globulaire
fluctuait.
33. À la lumière des dossiers d'hôpital,
qui démontrent que la seule injection par voie intraveineuse
reçue par le réclamant avait été
interrompue 10 minutes après sa chirurgie, et en l'absence
de dossiers indiquant qu'il avait reçu une transfusion,
je ne suis pas convaincu par le témoignage du réclamant,
de sa femme et de M. B. que, selon la prépondérance
des probabilités, le réclamant a reçu
une transfusion de sang suite à sa chirurgie en janvier
1989.
DÉCISION :
34. L'appel du réclamant est rejeté et le refus
par l'Administrateur de la demande d'indemnisation du réclamant
est maintenu.
FAIT À TORONTO, CE 13E JOUR D'OCTOBRE 2003.
" Tanja Wacyk "
Juge arbitre
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